Fondation Opale

Interview de Bérengère Primat, directrice de la fondation Opale

Interview de Bérengère Primat, directrice de la fondation Opale
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Bérengère Primat

Née en 1973 à Neuilly-sur-Seine, cette passionnée d'art aborigène est la présidente de la fondation Opale à Lens depuis 2018.

Bérengère Primat découvre l’art aborigène il y a 20 ans lors d’une exposition à Paris et en devient immédiatement passionnée. Elle ouvre la fondation Opale à Lens en 2018, dans le but de participer au rayonnement de cet art en Europe. Elle nous parle ici de la place qu’il occupe dans le paysage de l’art contemporain, de la fondation Opale, ainsi que de sa prochaine exposition.

Contrairement à Obélix qui est tombé dans la marmite du druide quand il était petit, votre rencontre avec l’art aborigène a été plus tardif. Qu’est-ce qui vous interpelle dans cet art ?

Bérengère Primat Absolument, je découvre cet art il y a 20 ans exactement, lors d’une exposition à Paris, Wati – les Hommes de Loi. J’ai été bouleversée devant ces œuvres réalisées par des hommes de toutes les régions d’Australie ; comme si une part de moi, en tant qu’être humain, m’était révélée… Au-delà de l’art seul, ce fût ma rencontre avec les artistes aborigènes et leurs familles qui a transformé ma vie et m’a motivée à me lancer dans la création de la Fondation Opale il y a quatre ans.

 

Fondation Opale
Fondation Opale, Lens 4 juin 2019 – Photos © Fondation Opale

 

Qu’est ce qui justifie aujourd’hui le succès de ce mouvement artistique ?

BP Cela fait déjà plusieurs années que j’observe un intérêt grandissant, mais je pense qu’un côté positif de cette pandémie a été de nous reconnecter à des valeurs plus proches de la famille, la nature et notre environnement. Ce sont les sujets de ces œuvres aborigènes, représentations visuelles de poèmes chantés, issues de la culture continue la plus ancienne au monde ; 60 000 ans d’enseignement ininterrompu.

Internet et les réseaux sociaux permettent également d’être connectés plus facilement à l’autre bout du monde et de suivre ce qu’il s’y passe artistiquement. Les artistes aborigènes se renouvellent en permanence et couvrent tous les domaines artistiques aujourd’hui. Il existe même des NFT créés par des artistes de Buku-Larrnggay, un centre d’art du Nord de l’Australie ! L’impact social me semble aussi un aspect qui interpelle. Il s’agit souvent du seul revenu pour ces communautés aborigènes.

 

Emily Kame Kngwarreye est sans doute l’une des artistes aborigènes les plus connues au monde. Son tableau Earth’s Creation a d’ailleurs détenu un temps le record de l’œuvre réalisée par un.e artiste aborigène la plus chère au monde. Quel regard portez-vous sur elle et sur son œuvre ?

BP Emily est une artiste exceptionnelle, une des premières femmes à peindre sur toile dans le désert, après avoir pratiqué le batik, alors âgée de 78 ans. En seulement huit ans, elle réalisera plus de 3 000 toiles et représentera l’Australie à titre posthume en 1997 à la biennale de Venise. Un de mes regrets est de n’avoir pas eu la chance de la rencontrer ; pourtant, je crois connaître si bien son travail que j’ai l’impression qu’elle est une de mes amies proches ! Dans ces toiles, Emily, la coloriste de la nature, dépeint son territoire, à plusieurs saisons et période de l’année, ainsi que le système de connexion rhizomatique de la patate douce (Anooralya), son totem.

 

La Fondation Opale entend favoriser le dialogue entre l’art aborigène et l’art contemporain, en tant que lieu d’expositions, de rencontres et de recherche de référence. Un tel projet vient-il combler un manque dans le paysage culturel européen ?

BP Permettez-moi de reprendre votre question : la Fondation Opale existe pour faire connaitre et reconnaitre l’art aborigène contemporain comme mouvement important et à part entière du monde de l’art contemporain. Si son histoire est bien entendu très différente de celle de l’art contemporain occidental par exemple, je suis persuadée que sa pertinence, sa force de connexion s’adresse à toutes et tous, en Australie et partout dans le monde, comme instrument de dialogue autour de thèmes universels. Et la rencontre d’œuvres aborigènes avec celles d’artistes contemporains d’autres provenances géographiques et culturelles ne fait que les renforcer mutuellement !  

Quant au paysage européen : il compte d’excellentes institutions dédiées à des cultures non-européennes. Mais sur le plan des arts visuels et des premiers peuples d’Australie, un vide était en effet à combler après la fermeture de l’Aboriginal Art Museum d’Utrecht en 2017. Nous participons, avec nos pairs, à mettre fin à l’eurocentrisme qui subsiste encore, à une discussion critique sur la « modernité » de notre société et de nos concepts.

Pour les communautés aborigènes ensuite, il est important d’avoir d’abord une plateforme de confiance qui leur permet de présenter leur création contemporaine de manière permanente en Europe, un lieu pour des artistes de passage lors de voyages de recherche ou en résidence notamment.

 

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Exposition Breath of Life – Photos © Fondation Opale

 

Inaugurée en 2018, la Fondation Opale est l’unique centre d’art contemporain dédié au rayonnement de l’art aborigène en Europe. Comment va se présenter l’offre culturelle ?

BP Nos expositions, mais aussi les nombreux évènements (conférences, concerts, performances, etc…) de notre programme d’accompagnement partagent l’ambition d’une excellence artistique accessible au grand public, et ceci n’est pas contradictoire. Notre programmation est exigeante ; en revanche, nos efforts de communication et surtout de médiation culturelle ont pour but de rendre nos propos intelligibles et saisissables pour tous.

Autour de notre fil rouge de l’art aborigène contemporain, le décloisonnement des géographies et des disciplines artistiques, mais aussi l’ouverture à des partenaires qui partagent nos valeurs, resteront une marque de fabrique de la Fondation Opale dans la durée.

 

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Exposition Breath of Life – Photos © Fondation Opale
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Résonances – Photos © Fondation Opale

 

Un mot sur votre prochaine exposition ?

BP C’est un examen attentif de dessins de jeunesse d’apparence chamanique, conservés dans le fonds des Archives Yves Klein à Paris, et dont les historiens ne savaient jusqu’ici trop quoi penser, qui a permis tout récemment de les reconnaître comme des reproductions d’œuvres aborigènes. Partant de cet éclairage nouveau, notre exposition Rêver dans le rêve des autres (10 décembre 2022-16 avril 2023) ambitionne d’ouvrir une voie sensible, poétique vers cette fraternité primordiale des consciences, dont les artistes seuls sont à même de nous révéler les preuves. 

Rêver dans le rêve des autres juxtaposera les œuvres d’Yves Klein et celles de douze artistes aborigènes, en avançant la thèse suivante : l’artiste français peut-être le plus marquant de la seconde moitié du XXe siècle pourrait bien être le premier artiste européen à s’être intéressé explicitement à l’art visuel aborigène…un précurseur en somme, comme il le fut en de nombreux domaines.

 

Plus d’infos : https://www.fondationopale.ch/